A l’heure du confinement dû au coronavirus, nous avons recueilli les témoignages de chefs d’entreprise dans la tourmente à Londres. Comment vivent-ils cette crise sanitaire ? Quelles solutions ont-ils trouvé pour poursuivre leur activité et gérer leur trésorerie ? Comment ont-ils rebondi ? Pour ce faire, lepetitjournal.com de Londres a interviewé 36 entrepreneurs, travaillant dans plus de dix domaines d’activité différents. Voici le résumé et nos analyses.
Face à une situation nouvelle exceptionnelle, un entrepreneur ne peut pas anticiper, il ne peut qu’essayer de réagir. Vite. En attendant que le proche avenir ne nous surprenne encore un peu plus, un retour sur les deux mois écoulés apporte déjà son lot d’enseignements.
Pour les entreprises concernées, la mise en place du télétravail aura mobilisé les énergies pendant les premiers temps de confinement.
Anne Rousseau, de l’agence London Speaks Languages, Francine Joyce, nutritionniste, Romain Gherardi, coach sportif et fondateur de Pret a Train, Ségolène Chambon, directrice de l’agence French Touch Properties, Dalla Niakhaté, créatrice et distributrice des Thés Lac Rose, Violaine Patricia Galbert conseillère conjugale, Françoise Carbonnel, du cabinet d’expertise en transition professionnelle Harmony Mobility, Anne Pflimlin, directrice de l’I.E.J MediaSchool Londres et Marie Juglaret, fondatrice de l’enseigne B comme Baby nous l’ont confirmé.
Toutes et tous nous ont aussi reporté qu’il semblait d’abord assez simple de demander à chacun de rester chez soi en continuant de communiquer par courriel, messageries collaboratives ou systèmes de conférence à distance. Puis, l’organisation de la vie personnelle à domicile a ramené chacun à la réalité. Les visioconférences ne permettent pas toujours des échanges fluides, elles sont “énergivores » en temps, en concentration et elles ne peuvent pas toujours s’organiser pendant les plages de disponibilités respectives de chaque participant potentiel. Moins de temps, moins d’interactions directes, moins d’efficacité et de productivité.
Il aura fallu quelques semaines pour déterminer des véritables priorités sur lesquelles le travail de chacun devait se focaliser. Le quotidien professionnel durant la crise Covid-19 ne permet pas de maintenir l’activité habituelle en continuant d’user des mêmes moyens que ceux utilisés en temps normal.
Les premiers temps du confinement
Ces premiers temps ont été marqués par la réaction managériale classique face à une crise pareille, centrée autour d’une égoïste et non moins légitime question : « Comment sauver ma boîte et mes salariés si j’en ai ? ». Les entrepreneurs aguerris par la crise de 2008 avaient peut-être un peu d’avance sur les réductions de budget immédiates et significatives de toutes les dépenses non strictement nécessaires, mais ce présupposé avantage comparatif est rapidement devenu obsolète.
Au bout de quelques temps, l’administration venait greffer un nouvel ingrédient dans la scénographie habituelle, en assouplissant les dispositifs de chômage partiel dans le but d’essayer de pallier les licenciements de masse. Il semblerait que cela ait plutôt bien fonctionné puisque 7,5 millions de personnes ont été couvertes par le dispositif de chômage partiel au 10 mai 2020. Cette mesure (“job retention scheme”) a confirmé, si tant est que cela soit nécessaire, que les entrepreneurs n’étaient pas en train de gérer une crise comme les autres.
Recherche de la meilleure façon d’agir
L’évolution du nombre de victimes dans les pays voisins ainsi que la multiplication du nombre de décès en Grande-Bretagne ont fait passer l’état mental des dirigeants d’entreprise dans une nouvelle phase : éviter la panique, occuper son esprit et songer à la meilleure façon d’agir de façon constructive. Certaines enseignes ont su se mobiliser pour venir en aide au personnel de santé, se lancer dans la fabrication d’équipements de protection ou de gel hydroalcoolique ou encore effectuer des dons auprès d’œuvres caritatives (croix rouge par exemple).
Par l’intermédiaire de leurs société, les entrepreneurs ont essayé de se rendre utiles en s’attelant à diffuser sur internet des communications au titre de la santé publique à l’égard du Covid-19 ou en organisant la prise en charge du transport du personnel soignant en taxi. D’autres entrepreneurs se sont cotisés pour réunir les fonds et les verser auprès de diverses associations qui viennent en aide au personnel médical ou aux personnes les plus démunies… Des gouttes d’eau certes, mais pas isolées, donc par voie de fait utiles de part leur multiplicité.
La vraie prise de conscience
Puis est venu le temps de la vraie prise de conscience. Oui, la spécialisation à l’extrême des économies nationales dans le contexte de la mondialisation repose sur l’illusion qu’une crise n’affecte jamais tous les pays en même temps. Evidemment, l’air est plus pur et le taux de pollution a plus que diminué. Assurément, les chaines de production et de consommation locales ont des mérites écologiques, mais aussi sanitaires et économiques. Absolument, il est inacceptable de laisser les écarts de richesse s’accroitre au point de nous faire rejoindre les périodes de l’histoire où ils déterminaient trop lourdement l’espérance de vie. Et enfin, l’investissement dans notre système de santé ne doit pas se faire dans un cadre de gestion de court ou de moyen terme.
Le confinement a fait émerger de nouvelles priorités
Le contexte a donc changé tant pour les investisseurs que pour les dirigeants. Ils se focalisent désormais sur la bonne gestion du cash-flow des sociétés dans lesquelles ils interviennent. Il y a quelques mois, c’était la course effrénée aux parts de marché au détriment de la rentabilité. Du fait que les boites se développaient à l’international, la consommation du cash était très importante. Et ce même sans d’argent ! Aujourd’hui ce ne sera plus ce genre de stratégie qu’il faudra mettre en avant, la rentabilité redevient un élément décisif. Il faut savoir préserver sa trésorerie pour tenir et pour se relancer.
Analyse, solidarité, opportunité et progression
Les entreprises qui prennent le soin d’analyser leur marché et qui sont certaines de répondre à un besoin concret ont toutes leur chance. C’est justement en période de récession que naissent les champions. Tout simplement parce que ceux qui résistent aux crises sont souvent ceux qui vont prendre les parts de marché par la suite.
Etre solidaires entre entrepreneurs par des gestes apparemment anodins, mais qui en réalité ne le sont pas : par exemple, ne pas annuler mais faire un avenant pour reporter une commande, demander des avoirs plutôt que des remboursements. Nous sommes tous le prestataire de quelqu’un.
L’originalité de la crise que nous vivons en 2020 est le principe du confinement. Lors des précédentes crises économiques, les relations sociales avaient pu continuer. Aujourd’hui, elles sont empêchées ou contraintes. Cette absence impose donc de penser son entreprise et son business autrement. C’est finalement une opportunité d’apprendre à vivre et à travailler différemment. Saisissons-là ! Le mot d’ordre général de la part des entrepreneurs est justement de penser « opportunité ». Dans toute crise, il y en a à saisir. Un entrepreneur est une personne qui sait « rebondir », autrement dit c’est quelqu’un qui est en permanence en mouvement.
L’important est de préparer l’après : par exemple, faute de savoir dans quelle proportion sera réduite l’activité, ils ou elles s’attellent à dresser des plans permettant de faire face à des situations multiples.
Ce qui importe les entrepreneurs en ce moment, c’est de profiter de ces instants particuliers pour avancer : progresser dans leur capacité d’anticipation et ne pas attendre que le pire arrive, progresser pour être capable de se réinventer, progresser dans l’utilisation de nouveaux outils et dans leur habilitation à pouvoir travailler autrement et enfin progresser pour mieux faire face aux problèmes. Quelles que soient la crise et l’adversité, il ne ferait pas sens de céder face à la fatalité. En tant qu’entrepreneurs, depuis bien longtemps, ils ou elles acceptent le risque.
Ils estiment essentiel de continuer à clamer haut et fort qu’après l’échec et la crise, il y a toujours le rebond. Plus que jamais, et alors que les perspectives économiques sont alarmantes, ils n’ont eu de cesse de nous répéter ce message. Tous ces entrepreneurs sont désireux de parvenir à puiser en eux cette force de rebondir pour laisser passer la tempête et se relever plus forts après.
Bien qu’il soit trop tôt pour prédire le moment où la page du Covid-19 sera tournée, ils tentent d’appréhender la crise comme un moment de prise de conscience collective qui leur permet de repenser le modèle de leurs entreprises. Beaucoup de verrous vont sauter lorsque nous arriverons au bout de la crise. Chaque entreprise se doit de se questionner sur sa vulnérabilité face à une prochaine pandémie ou à un prochain confinement et aux impacts que ces deux variables pourraient avoir sur leurs affaires, tant au niveau de la distribution que de l’approvisionnement.
Marine Vincent, qui dirige la parapharmacie Make me Feel, Mathilde Konzcinski, directeur du Medicare Français, Pauline Lagarde, directrice de Dynamicvines, Marc Venverloo, fondateur de Wine Affairs, Stefano Frigerio, gérant de French Bubbles, Adrien Belot, gérant de l’épicerie en lige French Click, Hélène Piquion, gérante de Ratatouie, Thomas Jacquel, gérant de Tariette, Kateryna Leclerc, gérante d’Europa Food, Romain Bourillon, gérant des restaurants Cocotte, Clare Grizeleau de l’enseigne Beillevaire, Anne-France Leray, directrice de The patate French Burger, Hugo Meyer Esquerré, gérant de Provisions, Guillaume Desmurs, gérant de FlyingFrenchMan, Stéphanie Quénan, fondatrice de Stef le chef, Michael Descout qui intervient pour l’enseigne Vessiere Cristaux, Cyprien Comarmond, gérant de Mon concept habitation, Télémaque Argyriou fondateur de Kalimera, Vincent Coignet fondateur de Loriginelondon, Sylvain Marcou dirigeant de Appartenaire, et Yacine Naili cadre de l’enseigne Staysapart nous ont permis d’observer et de relever l’ensemble de ces informations grâce à de précieux témoignages.
Savoir tirer les leçons
Nostra maxima culpa, il n’existe pas de transactions commerciales avec la nature, avec la vie ou avec la condition humaine. C’est sur la base de cette évidence simple que les esprits des entrepreneurs avec qui nous nous sommes entretenus réfléchissent maintenant à leurs actions dans le monde d’après. Et ce, quelle que puisse être l’ancienneté des enseignes associées aux personnes interviewées avant cette pandémie. Pour ceux qui restent en bonne santé, cette crise n’est pas du temps perdu. C’est le temps d’avant que nous avons gâché.
Luther Beaumont